Résidence écriture de lumière au lycée Déodat de Séverac :

Claude BELIME & Marc GOURMELON

 

Écritures de lumière, 2011

Dans le prolongement de la résidence d’artiste Lumière d’Encre menée en 2009-2010, pendant laquelle l’artiste Benoît Vollmer est intervenu dans le cadre d’un atelier artistique, sur le lycée en rénovation et la transformation du paysage, il s’agit d’interroger le vaste territoire qui constitue le bassin de recrutement du lycée.
Cette zone va du Haut Vallespir (façade est du massif de Canigou avec ses sommets à plus de 2700 m d’altitude) à la mer (d’Argelès/mer à Cerbère et la frontière espagnole). La diversité des paysages se combine à une diversité sociale économique et démographique : à la montagne et l’arrière-pays correspond une population à faible densité, sur le déclin numérique et économique, marquée par une culture villageoise, rurale et quasi paysanne ; la bordure littorale, marquée par les rythmes d’une activité balnéaire, attire une population jeune, en croissance rapide dont les activités professionnelles, sociales et culturelles adoptent des caractéristiques particulièrement urbaines.
Au coeur de ces disparités, le lycée apparaît fortement contesté par les habitants de la côte qui revendiquent la construction d’un nouvel établissement à Argelès, au plus près du plus grand bassin de population du territoire. Une telle situation ne mettrait-elle pas en cause l’existence actuelle du lycée ?
Comment intégrer cette nouvelle donne ? Comment pérenniser son statut ? La période de rénovation n’est-elle pas le bon moment pour s’interroger sur cette identité, pour la mettre en mots et en images ?  Le travail a commencé à travers les productions de l’atelier artistique. Il doit se poursuivre à l’échelle du territoire. Alors que le lycée peine aujourd’hui à asseoir son identité, le travail photographique permet une approche différente et peut être le départ de nouvelles pistes.
Il s’agit de réaliser une création artistique photographique interrogeant le paysage et sa spécificité locale liée à l’implantation du lycée, et y faire participer le monde du lycée (élèves, enseignants et personnel Atos). Il s’agit par cette action de s’interroger sur la représentation et ses enjeux, de donner à penser sur le rôle de la photographie et ses enjeux politiques et sociaux.
La résidence a été confiée à deux photographes Marc Gourmelon et Claude Belime qui ont abordé la question du paysage du bassin de recrutement du lycée c’est-à-dire le territoire du Pays Pyrénées Méditerranée avec deux approches différentes et complémentaires. Commencée fin 2010, cette résidence s’est essentiellement tenue en 2011 du fait des grèves du mois de novembre 2010 aux lycée de Céret ainsi que des stages des élèves de seconde professionnelle qui ont participé à l’atelier artistique.
Compte rendu des actions pédagogiques ici.

1°) Marc Gourmelon : Paysages invisibles

 

« Il faudrait installer les villes à la campagne. » Alphonse Allais

« L’idée est posée en quelque sorte comme des lunettes sur notre nez et ce que nous voyons, nous le voyons à travers elles. Il ne nous vient pas du tout à l’esprit de les ôter. » Ludwig Wittgenstein

Ce travail sur le paysage du Pays Pyrénées Méditerranée témoigne d’une part de la transformation en icônes de certaines vues de ce territoire et de l’invisibilité de certaines zones d’autre part ; la mise sous forme de diptyques s’est donc naturellement imposée.
Depuis les années 1970, les paysages ruraux sont le théâtre de modifications produites par le desserrement urbain, ce processus se caractérise par une redistribution des populations dans les ces espaces périphériques aux villes. Un territoire périurbain encore appelé rurbain s’est construit qui a pris la forme très concrète ces deux dernières décennies d’une pavillonnarisation du paysage, les habitats collectifs datent du début de la période ou sont dans notre région consacrés à la villégiature estivale. Les lotissements et leurs maisons individuelles provoquent à la fois une distance sociale et une proximité familiale : on peut ne pas croiser son voisin. Nous sommes loin des stéréotypes tels que la sociabilité villageoise de la ruralité. Les espaces publics y sont généralement inexistants de même que les repère traditionnels des villes et villages : les groupes de maisons s’ajoutent les uns aux autres tels des Lego. Ces traits du paysage repérés, le choix d’une prise de vue défocalisée a été fait pour marquer notre méconnaissance de ces lieux, par définition hors des circuits touristiques, frappés d’invisibilité et solliciter de la part des regardeurs une accommodation mentale.
Les images qui figurent sur la partie droite des diptyques sont des numérisations de cartes postales ordinaires proposant plusieurs vues, nous sommes face à des icônes accumulant les stéréotypes : le ciel invariablement bleu, la plage estivale, les hauts lieux symbolisant la région: le clocher de Collioure, le Canigou. Leur agrandissement fait apparaître la trame d’impression, annulant ainsi la transparence nécessaire à une projection dans l’image, à une croyance à ces clichés.
Cette résidence a donc permis d’accomplir un travail à la fois documentaire sur le paysage et de questionner la nature des images.

2°) Claude Belime : Un pays, une route, des paysages.

www.claudebelime.com

Comment articuler la question d’un emplacement géographique hors du commun avec le quotidien des élèves du lycée, tout en s’inspirant de projets photographiques proches de ceux de la mission de la DATAR?
L’idée est de documenter par le support photographique la diversité des paysages de cette zone des Pyrénées orientales. Comment relier cette problématique à un cadre scolaire ?
La géographie du Pays Pyrénées Méditerranée s’est imposée. Situé le long de la chaine pyrénéenne des hauteurs du massif du Canigou jusqu’à la mer, il est traversé de part en part par le ruban routier constitué par la D116, la D618 et la D914 du col d’Ares au-dessus de Prats de Mollo à Cerbère. C’en est la colonne vertébrale.
En documentant et en s’appropriant les différents paysages qui jouxtent ce ruban noir je souligne la variété l’environnement des élèves du lycée Déodat de Séverac, qui constitue leur milieu. De plus, certains élèves passent beaucoup de temps dans cet espace du trajet.
Il s’agit d’interroger ce territoire de l’entre-deux qui recèle toutes les problématiques géographiques du département mais aussi plus largement le paysage de ce pays.
Sans s’interdire l’interprétation sensible, l’utilisation de la chambre photographique permet de documenter les paysages du Pays Pyrénées Méditerranée. Nous mettons en évidence la diversité d’un pays qui est le terreau de la multiplicité des histoires de chacun. L’intérêt d’un collectif, comme l’est le lycée, est l’hétérogénéité qui le constitue sous l’apparente uniformité. En biologie, on parle de biodiversité, nous parlerons ici du métissage des histoires culturelles; les paysages en sont la trame.

Le paysage est un émetteur d’imaginaire,
« Une pensée qui résonne au regard » L. Wittgenstein, Philosophischen Unterssuchungen;

En ce sens nous entretenons avec lui des rapports complexes , des échanges dans les deux sens et si nous le construisons, il nous forme également.

Quelques images de la série: